Apprendre le français, cette langue étrangère

Leur échange de regards trahit une complicité qui dure depuis longtemps. Françoise et Claire, bénévoles à DAE depuis près d’un an, ont été enseignantes dans la même école maternelle pendant des années. Retraitées, elles consacrent aujourd’hui toutes les deux plusieurs jours de la semaine à ces jeunes adolescents issus de pays d’Afrique francophone fraîchement scolarisés qui rencontrent des difficultés à lire, écrire et parler le français. Lecture syllabique, apprentissage des sons, calligraphie : elles reprennent parfois les apprentissages depuis le début. 

Entretien croisé avec deux passionnées de pédagogie qui amènent, lentement mais sûrement, ces jeunes apprenants à découvrir de nouveaux horizons grâce au livre et, petit à petit, à se passionner pour la lecture.

 

  • Pourquoi avoir décidé de réapprendre les bases de la lecture à certains jeunes scolarisés ?

Françoise : quand nous nous sommes lancées dans le soutien scolaire, je n’avais aucune idée préconçue mais je pensais faire de la grammaire, des maths, enfin, un peu de tout. A ma grande surprise, je me suis retrouvée avec des élèves de CAP qui n’arrivaient pas à lire ni à comprendre ce qu’ils lisaient. Et là, je me suis dit que l’apprentissage de la lecture était primordial. Et c’est beaucoup plus difficile pour un jeune adulte qui n’a jamais appris à lire ni à écrire d’y accéder. On part du principe que, comme ils viennent de pays francophones, le français est acquis alors que pour eux, c’est comme apprendre une langue étrangère.

Claire : nous nous sommes aperçues que ces jeunes ramaient énormément à l’école parce qu’ils avaient des lacunes de bases dans l’apprentissage. Cela ne servait à rien d’aller plus loin sans revenir aux fondamentaux : les syllabes, les sonorités, les phonèmes de la langue. Alors, on s’est toutes les deux dit qu’il fallait reprendre complètement cet apprentissage en amont. Grâce au soutien des éditions Hachette, on consolide la bibliothèque destinée aux jeunes avec des ouvrages accessibles aux débutants. Petit à petit, on voit des jeunes se balader avec un livre sous le bras ou lire spontanément quand ils patientent avant le début d’un cours. Et là, je me dis que c’est bon, on est sur la bonne voie (rires).

 

  • Les établissements scolaires incitent souvent les élèves à passer les examens du DELF. Qu’est-ce que c’est ? Est-ce vraiment utile ? 

Françoise : le Diplôme d’études en langue française ou DELF est un diplôme officiel délivré par le ministère de l’éducation nationale aux apprenants étrangers non francophones. Ces tests évaluent les compétences de communication des élèves en compréhension orale et écrite, en rédaction et à l’oral. C’est souvent le tout premier examen que les jeunes de DAE passent et ils n’ont absolument pas la moindre idée de comment cela peut se passer. Alors, avec les bénévoles du soutien scolaire qui a lieu quatre fois par semaine à l’association, nous les préparons en amont et nous leur faisons réviser dans les conditions réelles, c’est important pour qu’ils ne soient pas surpris le jour de l’examen.

Claire : ce que je trouve intéressant, avec le DELF, c’est que les élèves sont obligatoirement en autonomie : il faut qu’ils mettent en place des stratégies pour lire, pour gérer le temps, passer du temps sur les questions qui valent plus de points, etc. Je pense que c’est un bon entraînement, tu apprends à te débrouiller à l’écrit et à l’oral. En plus, les tests sont complets et bien faits, reprenant des situations de notre vie quotidienne. LE DELF est certainement utile pour l’intégration en France indépendamment des exigences de l’administration en matière de maîtrise de la langue.

 

  • De quoi avez-vous besoin ?

Françoise : du temps (rires) ! Personnellement, je considère que le Rectorat devrait leur permettre de rester deux ans en classe de remise à niveau (UP2A) au lieu d’un. Mais du temps, ces jeunes n’en ont pas. Tout les pousse à intégrer rapidement des filières professionnelles avant leur majorité alors que certains, en prenant le temps nécessaire pour apprendre durablement notre langue, pourraient aspirer à de meilleurs résultats.

Claire : l’apprentissage de la lecture fonctionne bien avec les jeunes que nous prenons en charge mais cela nécessite beaucoup, vraiment beaucoup, d’heures de cours individuel et nous ne sommes pas assez nombreux. Et certains jours, ils ont trop de soucis et de problèmes du quotidien pour que l’apprentissage se passe bien. En plus, il faut se rendre compte de la quantité énorme de connaissances qu’ils ont à rattraper. Je me souviens d’une jeune à qui on demandait d’écrire un texte pour un blog sur Internet alors qu’il ne connaissait ni le mot ni sa signification. Depuis que je suis bénévole ici, j’ai rencontré des jeunes avec des personnalités et des parcours absolument incroyables. Et c’est tellement enrichissant ! Ce sont des jeunes qui ont tellement envie d’apprendre, c’est très gratifiant. En plus, quand ils te disent 3000 fois merci après une séance de lecture, tu kiffes, forcément.